Pour ceux qui n’ont pas eu l’occasion de se déplacer ce jour-là en raison de la COVID, un extrait de l’entretien au sujet de mon roman Un puceron sur le nez d’un géant.
Première remarque, j’ai été étonnée que le livre soit scindé en deux tomes, alors qu’il s’agit d’une histoire qui débute à la première page du premier tome et se termine à la dernière page du deuxième tome. Quelles raisons ont motivé ce choix ?
En réalité, la maison d’édition, Feel So Good, publie exclusivement des trilogies. Le tome 2 est de fait, la suite logique et complémentaire du tome 1. Le principe du Feel Good, pour rappel, c’est une histoire qui ne commence pas toujours très bien, mais se termine merveilleusement bien.
Pourquoi du Feel Good ?
Est-ce que ce n’est pas important dans un monde souvent désespérant, de se raccrocher à des sagas dans lesquelles les protagonistes ont pouvoir sur leur environnement ? De se focaliser sur le positif, car il y en a toujours, dans les situations et les gens ?
Passons aux personnages. Ce personnage principal, Charlène, jolie veuve, d’où vient-il ? Fait-il référence à du vécu, ou à une personne connue ?
Non, pas du tout. Il fallait partir d’une situation difficile, cette veuve mutée dans une filiale condamnée à fermer en raison d’une délocalisation en Tchéquie. Elle se trouve obligée de déménager en compagnie de ses deux adolescentes, Léa et Sara.
Elle a un côté très humain, qui va lui poser des problèmes…
Qui va effectivement poser des problèmes avec sa direction qui pratique un management toxique : harcèlements, burnout, injonctions contradictoires. Dans un premier temps, elle va se friter avec la déléguée syndicale principale dont elle va progressivement gagner l’estime ainsi que celle des ouvriers.
Ce constat d’échec face aux pratiques de multinationales, ça sent un peu le vécu, non ?
Oui (rires). Pendant des années, j’ai été personne de confiance dans le cadre de la loi contre le harcèlement moral et sexuel au travail. J’ai écouté beaucoup de récits d’employés, et de travailleurs d’autres usines lors de mes formations et recyclages. Vatexo, l’entreprise où travaille Charlène, concentre ce que j’ai pu entendre comme histoires véridiques dans le cadre professionnel ou dans les livres que j’ai lus sur ce thème.
Et la séquestration, du vécu aussi ?
J’ai connu un directeur qui a subi cette épreuve et m’en a parlé.
C’est vrai qu’elle vit pas mal de choses difficiles, mais à côté de cela, elle a deux filles extraordinaires… Celle de douze ans, j’ai l’impression qu’au niveau de la maturité, elle en a dix-huit, et celle de seize ans… la vie est belle, non ?
Je ne dirais pas ça. Elle éprouve des difficultés à s’intégrer dans sa nouvelle école…
À part ça, c’est quand même un cocon… On n’habite pas dans un taudis, on ne manque de rien !
Oui, mais Charlène explique qu’elle a dû faire l’impasse sur pas mal de loisirs, qu’elle doit faire attention à son argent, que son mari l’a laissée sans un sou de côté. Elle accepte la proposition de vacances d’un ami parce qu’elle n’a pas les moyens d’en offrir à ses filles. Même si elle gagne correctement sa vie, le budget reste serré. C’est vrai que sa promotion lui assure un salaire plus élevé, mais tout n’est pas rose. Sara était hyper populaire dans son ancienne école, ici, à cause de ses préjugés elle s’est attiré l’inimitié de tout le monde.
Elle s’est vite adaptée…
Oui, je vais avouer que je n’ai pas voulu être trop cruelle avec mes personnages non plus. Je trouvais qu’elle en bavait tellement dans son entreprise, que je n’ai pas désiré en rajouter sur le plan familial.
Et ce merveilleux amoureux ? Un rapport avec l’entourage ?
(rires)
C’est probablement un mélange de ce qu’il y a de mieux chez tous les hommes que j’ai connus.
Oui, il y a de quoi tomber amoureux…
Dans ma première version, celle que j’avais publiée sur Scribay, mes deux héros masculins étaient assez machos, plus proches de la réalité, ce qui a suscité une levée de boucliers au sein de la communauté de lectrices et des sarcasmes de la part de féministes. J’ai reçu tant de critiques que je les ai « arrondis », édulcorés. Je les ai remis dans les clous, pour les rendre plus acceptables. On m’en fait grief à présent…
Même presque parfaits… En principe, ça n’existe pas. On se dit « est-ce que j’ai raté le coche, quelque part ? »
À ce point-là ?
Mais oui, je ne sais pas… Physiquement, intellectuellement, sentimentalement, sexuellement… Cet homme est parfait !
Tant mieux pour Charlène ! (rires)
Jamais je n’ai rencontré un homme comme ça, que ce soit dans un polar ou un autre type de lecture.
Bon, il a quand même des défauts, il est très maniaque.
Ça, ce n’est pas un défaut, de la part d’un homme ! Bon, il paraît aussi qu’il tire à lui les couvertures.
(rires)
Ce qui me frappe, c’est que Charlène est très entourée par ses amis, elle est protégée au sein d’un cocon, rien ne semble si noir pour elle.
Il y a quand même de grands thèmes qui apparaissent… La difficulté de retrouver un travail après 45 ans, par exemple. Elle se démène pas mal pour changer d’orientation. Donc, dire que tout est rose me semble excessif. Je n’ai pas voulu faire un roman trop sombre, mais les difficultés sont là.
Oui, comme pour tout le monde, donc je comprends de la part des gens ce besoin de lire des histoires où l’on retrouve un univers familier, mais où tout finit par s’arranger. Charlène est très volontaire, et a le courage de se bouger.
Je pense en effet que ce qui fait la force de ce personnage, c’est sa faculté de rebondir face aux difficultés et de ne jamais se laisser décourager. C’est son ADN.
Côté cœur, elle a eu plus de mal à rebondir. Avec, je le rappelle, un homme parfait !
Elle a des doutes. Et la fin du tome 2 les laisse entiers. On ne sait pas si elle va surmonter ses interrogations. Certaines choses chez lui la dérangent fort.
Marina. Personnage connu ?
(rires) Non !
Ouf ! C’est un personnage dangereux !
Exactement. C’est vraiment la peste, le condensé de tout ce qu’il y a de pire chez une femme.
Par contre, j’ai eu un petit coup de cœur pour Emma. Elle éprouve toujours des sentiments pour Hugo, mais accepte de s’effacer.
Tout le monde l’adore, elle a un cœur énorme. L’amour qu’elle éprouve pour Hugo n’est plus sexuel. Ils sont proches, ont un enfant en commun, mais ne sont plus unis que par un mélange de respect et d’affection.
Mais elle dit qu’elle l’aime toujours ?
La langue française est très pauvre, il n’y a qu’un mot pour amour, mais tellement de types d’amour différents ! Charlène ne l’a pas bien pris au début, mais l’explication au restaurant entre les deux femmes va lever le doute.
J’ai préféré le personnage d’Emma à celui de Mathilde, trop parfaite pour être honnête.
Pour moi, Mathilde représente l’amie que nous rêvons tous d’avoir.
Du ressort du rêve alors. Antoine. Un peu ambigu, non ?
S’il semble amoureux au début de Charlène, il finit par rencontrer son âme sœur.
Quel est le personnage préféré de l’auteur ?
Oh, je vais dire Hugo (rires)…
L’homme parfait ! Tiens donc ! Physiquement, tu le vois comment ? Georges Clooney ? Brad Pitt ? Parce que moi je ne le vois pas. J’ai relu les descriptions, je n’arrive pas à le visualiser.
J’ai évité de trop le décrire. C’est mieux que chacun se fasse son image, entretienne son propre fantasme (rires).
Tous les personnages du livre sont beaux, physiquement.
Pas vraiment. Mathieu est décrit comme d’une laideur sympathique. Dans les employés de Vatexo, ils ne sont pas tous beaux.
Oui, mais les personnages principaux. Comment ça se fait ? C’est l’environnement ?
Bon, le prochain roman, je l’écrirai avec des gens moches alors (rires).
J’ai beaucoup aimé le puceron. Excellent personnage, entier, honnête et encore une fois, beau !
J’ai beaucoup de chance dans ma vie, je ne suis entourée que de gens beaux, en tout cas je trouve que beaucoup de gens sont beaux (rires).
De temps en temps, je suis tombée sur des mots, comme « lactescent ». C’est un mot qu’on utilise quand même très rarement. Pourquoi ce mot ? Ce teint lactescent ?
Je ne sais pas… Je trouve ça joli ! (rires) C’est… On me l’a reproché. Beaucoup m’ont dit qu’ils avaient dû consulter un dictionnaire. Mais je suis amoureuse des beaux mots, et quand j’en rencontre un dans un roman, je le note avec sa définition. J’ai tout un cahier de beaux mots, et je les relis souvent, et donc je les replace quand j’ai l’occasion (rires). J’essaie de jouer entre un vocabulaire soigné et des dialogues réalistes, en tout cas, pour mes adolescents, j’ai veillé à adapter le vocabulaire.
Ça ne m’a pas dérangé, mais ça m’a frappé parce que c’est très rare dans la littérature moderne. Et puis, le mot est beau, mais est-ce que c’est joli, un teint lactescent ? Donc j’étais mitigée. Mais, les beaux mots, il y en a plusieurs, et toujours agréables à la lecture.
En tant que lectrice, si j’apprends quelque chose, j’estime que je n’ai pas perdu mon temps. Donc je me dis que si, grâce à leur lecture, les gens apprennent de nouveaux mots, ils se diront qu’ils n’ont pas perdu leur temps non plus.
Et tu es très cuisine ? On parle beaucoup de nourriture. On a envie de se mettre à table souvent.
Je suis une grande gourmande. J’aime manger, les bons petits plats, j’adore cuisiner.
En matière d’éducation, les filles sont assez libres. Charlène autorise Sara à dormir chez son copain.
Je précise dans le roman que Charlène a confiance en Sara, dans le fait qu’elle n’abusera pas. C’est une contrepartie à l’effort qu’elle lui demande en matière de tâches ménagères, cette liberté. C’est du donnant-donnant.
Et cette merveilleuse maison à la mer ?
J’ai toujours dit que je finirais ma vie face à l’océan. J’ai un rapport très fusionnel à la mer.
Ça se sent très fort dans le roman. Il y a une ambiance dans cette maison. On a l’impression d’y être et de regarder par la fenêtre.
Oui, l’ombre du grand-père y flotte toujours. J’ai beaucoup aimé écrire ce passage.
J’aimerais qu’on parle du plaisir d’écrire. Ça vient d’où ?
D’abord du plaisir de lire. Je suis une grande lectrice depuis que je suis toute petite, et l’envie d’écrire est venue en même temps. J’ai accumulé les chapitres un, mais n’ai pas trouvé le temps d’écrire, sauf depuis une dizaine d’années. Ma mère était une grande lectrice, durant la sieste, on lisait ensemble.
Un besoin de s’identifier au personnage ?
Non, mais il faut savoir se mettre dans la peau du personnage, avoir douze ans, puis la réplique suivante, quarante-cinq. C’est compliqué. D’où l’intérêt d’avoir des relecteurs. Si l’ado parle comme un adulte, il me le signale.
Un genre de lecture préférée ?
Non, je lis de tout, sauf de l’horreur.
Ça prend combien de temps d’écrire un livre ?
Pour ces deux tomes, un an d’écriture et un an de corrections. Je publie des chapitres qu’on me relit au fur et à mesure, avec parfois des changements importants. Par exemple, celui-ci, je l’avais commencé à la première personne, du point de vue de Charlène, mais comme je désirais raconter la vie de plusieurs personnages, ça me posait des soucis. Certains détails ne pouvaient pas être connus de ma protagoniste. Le point de vue omniscient réglait le problème. Donc, j’ai dû réécrire l’ensemble, et changer toute la perspective.